Jurisprudence commentée

Dans l’affaire AZF, les délits d’homicide et de blessures involontaires ont été retenus par la cour d’appel de Paris dans un arrêt rendu le 31 octobre 2017. Les prévenus se sont depuis pourvu en cassation.

L’explosion de l’usine AZF le 21 septembre 2001

Le 21 septembre 2001 une explosion catastrophique au sein d’une usine de produits chimiques classée SEVESO II exploitée par la société Grande Paroisse faisait 31 morts et plusieurs milliers de blessés près de TOULOUSE.

Survenue seulement 10 jours après les attentats du World Trade Center, la thèse de l’acte de malveillance devait rapidement émerger mais sera écartée par l’information judiciaire et les experts qui concluront à l’inverse à l’accident industriel.

Plus précisément, la manipulation et la mise en présence malencontreuse de substances chimiques incompatibles dans l’un des hangars du site d’AZF semblent faire consensus parmi les experts, même si l’exploitant continue de s’opposer à cette explication de la catastrophe.

Les conséquences civiles ont par ailleurs fait l’objet d’un traitement distinct sur le fondement de la responsabilité du gardien.

Restait ainsi principalement à trancher la question des responsabilités pénales, ce que la Cour d’appel de Paris vient de faire par son arrêt du 31 octobre 2017, qui constitue la troisième décision rendue sur le fond dans cette affaire aussi ancienne qu’emblématique.

Les précédentes décisions de justice rendues dans l’affaire AZF

Renvoyés devant le Tribunal correctionnel de Toulouse, le directeur de l’usine et la société Grande Paroisse, son employeur, avaient été relaxés par un jugement du 19 novembre 2010, en considération du caractère insuffisamment certain du lien causal entre les fautes retenues et le dommage.

La Cour d’appel de Toulouse, par un arrêt du 24 septembre 2012, devait pour sa part retenir les prévenus dans les liens de la prévention et prononcer à leur encontre, des chefs d’homicide, blessures et dégradations involontaires, des peines de 225 000 et 45 000 euros d’amende et trois ans d’emprisonnement dont deux avec sursis.

La chambre criminelle de la cour de cassation devait néanmoins casser cette décision par un arrêt du 13 janvier 2015 rappelant, au visa de l’article 6 de la CESDH, l’exigence d’impartialité des magistrats (les prévenus n’ayant pas été informés de l’adhésion de l’un des juges à l’INAVEM, laquelle entretenait des liens avec la FENVAC, association de victimes) et pour violation de l’article 322-5 du Code pénal (absence de caractérisation de l’obligation particulière de sécurité dont la violation était à l’origine des destructions).

Désignée comme cour de renvoi, la Cour d’appel de Paris avait donc à connaître, à son tour, 16 ans après les faits, des responsabilités pénales dans ce qui reste à ce jour le pire accident industriel qu’ait connu la France.

La thèse de l’acte terroriste écartée avec force

Les débats qui se sont ouverts le 24 janvier 2017 devant le Pôle 2-13 se seront achevés par les plaidoiries de la défense les 23 et 24 mai 2017. Trois mois de débats durant lesquels les positions de la partie poursuivante et des prévenus n’auront guère varié et à l’issue desquels la Cour d’appel de Paris a pour l’essentiel confirmé les conclusions de son homologue Toulousain.

Dans leur arrêt rendu le 31 octobre 2017 qui comporte plus de 400 pages les juges parisiens retiennent en effet la thèse de l’accident dont les conditions ont été créées selon eux par divers manquements commis dans l’exploitation de l’usine AZF.

Au titre des « caractéristiques de l’explosion », la Cour conclut avec le collège d’experts que « l’explosion du bâtiment 221 est l’origine unique de l’intégralité des phénomènes ressentis » sur le site d’AZF le 21 septembre 2001.

Les magistrats ajoutent, toujours sur la foi des conclusions concordantes des experts, que « la détonation a été initiée à l’extrémité Est du cratère, soit le box du bâtiment 221, et s’est propagée d’Est en Ouest ».

Au titre des « causes de l’explosion », la Cour rappelle que le juge d’instruction a retenu dès l’origine l’explication chimique, résultant du déversement d’une benne contenant du DCCNa (dichloroisocyanurate de sodium) dans le bâtiment 221. Elle rappelle également que la défense a toujours soutenu d’autres causes et que certaines parties civiles ont elles aussi souhaité que d’autres scénarios fassent l’objet d’investigations.

Les magistrats de la cour d’appel de Paris ont cependant refusé les suppléments d’information (relatifs au survol par un hélicoptère) et rejeté la thèse alternative de l’acte terroriste jugée « sans fondement » après vérification de toutes les informations relatives à celle-ci.

Sur ce dernier point la Cour exprime nettement son désaccord avec le Tribunal correctionnel de Toulouse, lequel, sans retenir la piste intentionnelle, avait néanmoins indiqué qu’il ne pouvait l’exclure formellement.

L’arrêt de la Cour d’appel de Paris a ainsi le mérite de sortir de l’ambiguïté en affirmant de manière extrêmement claire que la thèse de l’« hypothétique action terroriste » doit être selon elle « définitivement écartée » « sans qu’il existe le moindre doute à ce sujet ».

Hommage aux 31 victimes décédées

L’accident chimique: un cocktail explosif de négligences

Au final, c’est la thèse « chimique », fruit de défaillances humaines, qui est retenue.

La Cour relève en effet des pratiques de mauvaise gestion, par un sous-traitant, des déchets d’emballage du site contenant différents produits chlorés, aggravées par l’absence de lavage du sol du bâtiment 335. Or, les résidus dudit bâtiment seront mis en benne puis vidés dans le bâtiment 221, créant selon les experts les conditions de l’explosion.

Elle retient également des pratiques non conformes de stockage dans le bâtiment 221, de nature à sensibiliser le stockage, la dégradation du sol, couvert en permanence d’une couche de nitrate, elle-même contaminée par différents polluants augmentant ses propriétés explosives. S’y ajoutent des infiltrations sous la dalle dégradée permettant aux nitrates de se mêler à des éléments soufrés, ainsi qu’une humidité anormale dans le bâtiment.

En définitive, la Cour explicite les causes de l’explosion qui s’est produite dans le bâtiment 221 en ces termes:

« Ce bâtiment, utilisé pour le stockage en vrac des nitrates d’ammonium déclassés, contenait des produits contaminés par diverses souillures en raison du processus de collecte au sol d’une partie des produits et de l’apport de divers déchets.
Par ailleurs, se trouvait en permanence sur le sol du bâtiment, une couche de nitrates damés sensibilisés également par un certain nombre de polluants.
Le mauvais état de la dalle du bâtiment principal avait entraîné l’infiltration de nitrates dans le sous-sol ou se trouvaient des éléments soufrés.
Tous ces éléments permettent de conclure à un environnement dégradé et à des contaminations diverses du stock de nitrates présent dans le bâtiment ayant inévitablement contribué à le sensibiliser, à accroître son potentiel détonique et à rendre son comportement imprévisible.

« Le jour de l’explosion, le bâtiment 221 où régnait, particulièrement dans le box, une forte humidité, contenait une masse totale de nitrates supérieure à 500 tonnes, correspondant aux produits versés dans le box, au tas principal ainsi qu’à la couche permanente de nitrates sur le sol.

« Le tas du box était à proximité immédiate du tas principal avec une continuité de produits au sol en raison de la permanence de cette couche de nitrates et de la présence de produits dans le passage due à la pente du tas du box » […]

« L’ensemble des éléments analysés démontre que la cause de l’explosion survenue dans le bâtiment 221 est liée à un processus chimique qui s’est engagé entre deux produits incompatibles fabriqués sur le site, le nitrate d’ammonium et le dichloroisocyanurate de sodium ou DCCNa. »

Au titre de « la culpabilité de GRANDE PAROISSE et du directeur », qui constitue la troisième partie de l’arrêt, la Cour se veut didactique en posant d’emblée le cadre de sa réflexion (imposé par les dispositions des articles 221-6, 222-19 et 121-3 du Code pénal réprimant l’homicide et les blessures involontaires) qui est celui de la causalité certaine, bien qu’indirecte :

dans l’« hypothèse d’une causalité indirecte, qui ne remet pas en cause l’exigence d’une relation de causalité certaine du comportement fautif avec le dommage, la responsabilité de son auteur est engagée, même dans le cas où sa faute n’a pas été le facteur exclusif du dommage, par toutes les imprudences ou les négligences qui ont contribué manifestement
à en aggraver les effets. »

« Il appartient par conséquent à la juridiction d’examiner l’ensemble des circonstances susceptibles de se trouver à l’origine des faits, de rechercher les fautes d’imprudence ou de négligence qui ont contribué à leur survenue y compris celles non comprises ou explicitement visées dans les poursuites ou dépourvues de sanctions pénales. » […]

La Cour rappelle également qu’elle est contrainte par les décisions antérieurement rendues par les juridictions d’instruction, mais libre de qualifier librement les faits formant l’objet de sa saisine :

« La saisine de la cour est […] déterminée par les dispositions de l’arrêt de la chambre de l’instruction, ayant confirmé les termes de l’ordonnance de non-lieu et de renvoi du juge d’instruction, et les actes d’appel.

Dans ce cadre, il lui appartient d’apprécier l’ensemble des fautes commises en lien causal avec les infractions qui fondent les poursuites et de restituer, le cas échéant aux faits, leur exacte qualification »

Pas de faute délibérée mais des fautes caractérisées

Au terme de son analyse la Cour retient plusieurs fautes à l’encontre des prévenus dont elle estime qu’elles ont un lien causal certain avec l’explosion. Elle estime cependant que ces fautes, pour établies qu’elles soient, n’ont pas eu de caractère délibéré:

« Au regard des manquements relevés aux obligations particulières de sécurité ou de prudence prévues par la loi ou le règlement: – l’insuffisance dans l’identification et l’évaluation des risques – les défaillances dans la maîtrise des procédés par des consignes écrites – l’insuffisance dans la formation et l’information du personnel, la matérialité de la faute, s’agissant des dégradations ou détériorations involontaires, est incontestablement établie.

Toutefois, ni leur examen ni le comportement général [du directeur de l’usine] n’ont mis en évidence de sa part la volonté délibérée de ne pas respecter les règles et de s’affranchir de ces obligations de sécurité ou de prudence, caractérisant la qualification de la faute délibérée requise par le ministère public« . […]

« En revanche, lesdits manquements aux obligations particulières de sécurité ou de prudence ainsi que les négligences, inobservations des prescriptions individuelles de l’arrêté préfectoral et des recommandations d’organismes professionnels mis en évidence, sur les modalités d’exploitation du bâtiment 221 et la mise en place de la généralisation de la collecte des emballages, en lien causal certain avec le dommage, constituent par leur accumulation et leur nature des fautes d’une particulière intensité répondant
à la définition de la faute caractérisée. »

La conscience du risque et la responsabilité pénale cumulée de l’organe et de la personne morale

La Cour retient enfin que le directeur du site, chimiste de formation, ne pouvait ignorer « les risques d’une particulière gravité découlant du mélange de produits chlorés et de nitrates rendus plus sensibles par leur contamination » et qu’il a ainsi engagé sa responsabilité personnelle, ainsi que celle de son employeur, dont il était l’un des organes ou représentants au sens de l’article 121-2 du Code pénal.

La cour d’appel de Paris prend ici le soin de désigner expressément la personne physique ayant commis l’infraction dont elle juge coupable la personne morale dans l’intérêt de laquelle a agi la première, conformément aux injonctions de la cour de cassation en la matière.

On observera que le directeur du site ne contestait pas s’être vu confier des délégations de pouvoir et ne remettait apparemment pas en cause leur efficacité juridique.

Des peines allégées

Quant aux peines, le Ministère public avait requis des peines d’amende identiques à celles prononcées par la Cour de Toulouse le 24 septembre 2012 (225 000 et 45 000 euros d’amende et trois ans d’emprisonnement).

La Cour d’appel de Paris se montre moins sévère en prononçant des peines de 15 mois d’emprisonnement avec sursis contre l’ancien directeur de l’usine, au vu des éléments de personnalité, outre une amende de 10 000 euros.

A l’encontre de la société Grande Paroisse, l’amende est fixée à 225 000 euros, soit le maximum légal encouru, compte tenu selon les termes de l’arrêt de « l’ampleur des manquements commis pour son compte et leurs conséquences dramatiques ».

Plus de 16 ans après les faits et plus de 5 ans après l’arrêt de la Cour d’appel de Toulouse, l’exploitant voit ainsi sa peine confirmée par la Cour d’appel de Paris.

Les magistrats de la Cour d’appel de Paris nécessairement conscients des limites inhérentes à la vérité judiciaire qu’ils étaient chargés de dire ont très consciencieusement motivé leur décision.

Ce qui n’a pas empêché qu’immédiatement après le prononcé de celle-ci, les prévenus se sont pourvus en cassation, suivis d’ailleurs en cela par certaines parties civiles.

La paix, dont on dit qu’elle est l’œuvre de la justice, se fera donc attendre encore un peu.

 

 

 

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