Dans le dernier état de la jurisprudence de la Cour de cassation, si les personnes morales peuvent être déclarées pénalement responsables, c’est au prix d’une recherche sur les conditions précises de fonctionnement de l’organisation en cause à laquelle doivent se livrer les juges du fond afin d’identifier la personne physique responsable.
Principe de la responsabilité pénale des personnes morales
En droit français l’article 121-2 du Code pénal prévoit expressément la responsabilité pénale des personnes morales à l’exception de l’Etat (comment se punir soi-même …?) ou des collectivités territoriales agissant dans le cadre de missions non délégables (ordre public et intérêt général obligent).
Le texte pose cependant des conditions précises qui n’ont que récemment démontré toute l’étendue de leur portée ainsi qu’on y reviendra. Plus précisément l’alinéa 1er de l’article 121-2 du Code pénal dispose que:
« Les personnes morales, à l’exclusion de l’Etat, sont responsables pénalement, selon les distinctions des articles 121-4 à 121-7, des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants. »
La Cour de cassation, s’appuyant sur ces dispositions, en a d’abord tiré la conséquence logique que toute personne pouvant être qualifiée d' »organe ou représentant » de la personne morale a vocation à engager la responsabilité de celle-ci.
De qui s’agit-il ?
D’une part, l’organe ou représentant doit être une personne physique, ce qui constitue un truisme puisque les personnes morales, objet juridique, ne peuvent agir que par le truchement d’individus bien réels.
D’autre part, un individu n’est susceptible d’engager la responsabilité pénale de l’entité concernée que s’il exerce au sein de celle-ci des fonctions de direction ou de gestion.
Typiquement, tel est le cas du chef d’entreprise dont, au demeurant, la responsabilité personnelle se trouve potentiellement engagée aux côtés de celle de la personne morale qu’il dirige en vertu de l’alinéa 3 de l’article 121-2 du Code pénal (les parquets disposent ici d’une opportunité qui s’exerce en pratique de manière plus ou moins aléatoire).
Sont également visés les salariés titulaires d’une délégation de pouvoirs, pour autant du moins que cette délégation soit juridiquement efficace en répondant aux exigences de la jurisprudence de la cour de cassation en la matière (l’agent doit disposer de la compétence, de l’autorité hiérarchique et des moyens matériels indispensables à sa mission).
Conception large: la personne morale a nécessairement engagé sa responsabilité pénale par l’un quelconque de ses organes ou représentants
On le voit, les deux conditions imposées sont assez aisément remplies en pratique et ce d’autant plus que les organisations sont importantes et/ou revêtent un certain niveau de complexité organisationnelle.
Confrontés à des faits infractionnels avérés et commis dans l’intérêt d’une personne morale, les juges du fond peuvent ainsi céder à la tentation de considérer que l’infraction a, nécessairement, été commise par l’un quelconque des organes ou représentants de la personne morale.
Ce raisonnement a particulièrement cours en matières d’infractions au Code de travail, au Code de l’urbanisme, au Code de l’environnement, ou encore en matière d’homicides ou blessures involontaires dont peuvent être victimes les collaborateurs de l’entreprise.
Une telle conception de la responsabilité pénale sert incontestablement les besoins de la répression en postulant, en quelque sorte, que si une infraction est commise dans son intérêt, une personne morale doit nécessairement en répondre.
Elle peut en outre se réclamer d’une partie de la doctrine qui considère que la responsabilité de la personne morale repose sur, et doit sanctionner un, défaut organisationnel qui a rendu possible l’infraction.
Conception restrictive: nécessité d’identifier ou de rechercher l’organe ou le représentant ayant pu engager la responsabilité pénale de la personne morale
Cette vision des choses, où il n’est nul besoin d’identifier l’auteur matériel de l’infraction, porte cependant atteinte au principe de légalité criminelle, qui impose l’interprétation stricte du texte pénal, ainsi qu’au principe selon lequel la responsabilité pénale revêt un caractère personnel, comme le rappelle l’article 121-1 du Code pénal.
Afin de mettre fin à certains errements en la matière, la chambre criminelle de la Cour de cassation a ainsi entendu imposer aux juges du fond de rechercher et identifier l’organe ou le représentant de la personne morale.
Plus précisément, les juges du fond se doivent désormais de l’identifier et, à défaut, de le rechercher.
Ce n’est qu’au prix de cette rigueur que les Cours d’appel mettent dorénavant leurs arrêts à l’abri de la cassation.
Plusieurs arrêts récemment rendus par la Cour de cassation permettent d’illustrer cette double exigence d’identification et de recherche.
Exigence d’identification
Dans un premier arrêt du 17 octobre 2017 publié au Bulletin (pourvoi n° 16-87249) rendu en matière d’accident du travail, la Haute juridiction casse un arrêt de la Cour d’appel d’Agen (17 novembre 2016) au motif qu’elle aurait dû « mieux déterminer par quel organe ou représentant de la société les manquements à l’origine de l’accident, qu’elle a constatés, ont été commis pour le compte de celle-ci » et « rechercher … au besoin en ordonnant un supplément d’information » pour déterminer si des délégations de pouvoirs avaient été consenties à l’époque des faits.
La Cour relève également « qu’était inopérante la circonstance que M. X… a valablement représenté la société au cours de la procédure« . L’identification du responsable, et le cas échéant sa recherche, doit donc bien s’effectuer à l’époque des faits.
Un arrêt rendu le 24 octobre 2017, non publié (pourvoi n° 16-86058) confirme la sévérité du contrôle exercé en la matière par la Cour de cassation, qui casse ici un arrêt de la Cour d’appel de Besançon (6 septembre 2016) au motif que: « pour retenir la culpabilité de la société Confraternelle Exploitation et Répartition Pharmaceutique Rhin Rhône Méditerranée pour le délit de pratique commerciale trompeuse et pour les contraventions d’utilisation d’une allégation de santé non autorisée dans l’étiquetage d’une denrée alimentaire, l’arrêt attaqué » s’est prononcé « sans rechercher si les manquements relevés résultaient de l’abstention de l’un des organes ou représentants de la société prévenue, et s’ils avaient été commis pour le compte de cette société« .
On citera encore un arrêt rendu le 19 avril 2017, non publié (pourvoi n° 16-81095) par lequel la Cour de cassation a cassé un arrêt de la Cour d’appel de Rouen (4 janvier 2016) qui, pour retenir la culpabilité de la société Esso Raffinage SAS « énonce que le non respect de l’arrêté préfectoral, pendant plusieurs mois voire plusieurs années, par les choix techniques ou de gestion qu’il impliquait, a nécessairement été commis par un organe dirigeant de la société Esso Raffinage SAS, agissant au nom et pour le compte de celle-ci« .
La sanction de cette motivation, qui avait le mérite de la franchise, était certaine et intervient par un attendu désormais classique: « attendu qu’en prononçant ainsi, sans rechercher si les manquements relevés résultaient de l’abstention de l’un des organes ou représentants de la société prévenue, et s’ils avaient été commis pour le compte de cette société, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision au regard de l’article 121-2 du code pénal. »
Exigence de recherche
Dans un second arrêt du 17 octobre 2017, non publié (17 octobre 2017, pourvoi n° 16-84541) également rendu en matière d’accident du travail, la Cour de cassation sanctionne à l’inverse le raisonnement des juges de la Cour d’appel de Nîmes (10 juin 2016) ayant relaxé la personne morale au motif que « les investigations n’ont pas démontré que le président-directeur de la société … avait été informé [du dysfonctionnement d’un appareil à l’origine de l’accident] » et que « l’audit annuel en matière d’hygiène et de sécurité réalisé en avril 2010 n’avait formulé aucune observation quant à cette machine« .
Insuffisant pour les magistrats de la Cour régulatrice.
L’arrêt de relaxe est donc cassé au motif: »qu’en se déterminant ainsi, sans rechercher si la société prévenue n’avait pas contribué, par l’un de ses organes ou représentants, à créer la situation ayant permis la réalisation du dommage, en ne prenant pas les mesures permettant de l’éviter, alors qu’elle a laissé en fonction, pendant plusieurs mois, un appareil non-conforme à la réglementation en vigueur et constituant une machine dangereuse pour chacun de ses utilisateurs, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision« .
Un arrêt rendu le 31 octobre 2017 (pourvoi n° 16-83683) confirme l’exigence de recherche imposée aux juges du fond. La Cour de cassation casse ici un arrêt de la Cour d’appel de Reims (19 avril 2016) qui avait relaxé du chef d’homicide involontaire la Société pétrolière de production et d’exploitation (SPPE) à la suite de l’explosion d’une pompe d’extraction de pétrole ayant mortellement blessé un agent de maintenance.
Les juge du fonds avaient en effet, pour relaxer, retenu que « le dysfonctionnement du système de freinage destiné à ralentir la rotation inverse de la pompe résultait d’un défaut de maintenance ancien et habituel et qu’ainsi la faute à l’origine de l’accident était établie » mais également que « celle-ci n’était pas le fait d’un organe ou d’un représentant de la société, motif pris, notamment, de ce que le dirigeant de cette dernière, qui n’avait consenti aucune délégation de ses pouvoirs en matière d’hygiène et de sécurité, n’avait pour autant commis personnellement aucune faute en relation causale avec l’accident, puisqu’il travaillait au siège social et n’intervenait pas sur le site pétrolifère« .
La Cour de cassation sanctionne là aussi le raisonnement de la Cour d’appel qui « en se déterminant ainsi, par des considérations pour partie inopérantes, alors qu’il lui appartenait de rechercher si les carences qu’elle a relevées dans la conception et l’organisation des règles de maintenance de l’équipement de travail, sur lequel s’est produit l’accident, ne procédaient pas, en l’absence de délégation de pouvoirs en matière de sécurité, d’une faute d’un organe de la société, et notamment de la violation des prescriptions des articles R. 4322-1 et R. 4323-1 du code du travail s’imposant à l’employeur, qu’avait mentionnée l’inspection du travail, […] n’a pas justifié sa décision au regard des textes susvisés et du principe ci-dessus rappelé. »
En conclusion
La jurisprudence de la Cour de cassation rendue au visa de l’article 121-2 du Code pénal apparaît aujourd’hui doublement sourcilleuse.
Dorénavant la plus grande précision s’impose ainsi à l’ensemble des acteurs du procès pénal lorsque la responsabilité pénale d’une personne morale est en jeu. L’arrêt rendu dans l’affaire AZF par la Cour d’appel de Paris le 31 octobre 2017 nous en donne d’ailleurs une illustration.
Les prévenus y puiseront des moyens de défense, certes commodes, mais qui permettront parfois tout au plus de retarder l’échéance d’une condamnation.
Les enquêteurs et la partie poursuivante prendront garde de ne pas faire toute la lumière sur les faits avant de conclure au renvoi.
Les juges du fond soigneront leur motivation et, s’ils ne s’estiment pas en mesure de le faire, ordonneront un supplément d’information.
Les victimes enfin, en cas d’impossibilité matérielle d’établir avec certitude les comportements individuels commis au sein de la personne morale responsable, pourront préférer porter leur action devant la juridiction civile, où la même rigueur n’est pas de mise.