La CEDH ne reconnaît pas l’atteinte à la vie privée et familiale et le droit au respect du domicile lorsque l’exploitation d’une carrière, objet du litige, se fait en toute légalité tandis que les riverains requérants se trouvent dans une situation d’illégalité au regard de l’implantation de leur habitation.
Cette affaire illustre le caractère incertain de la jurisprudence rendue par la Cour européenne au visa de l’article 8 de la Convention en matière de protection de l’environnement.
« La jurisprudence de la CEDH prohibe les atteintes graves telles que les bruits, les émissions, les odeurs, qui, par leur intensité, privent une personne de son droit au respect du domicile en l’empêchant d’en jouir »

Faits de l’espèce. Un couple de ressortissants espagnols se plaint auprès des autorités nationales de nuisances sonores et de gênes dues à la pénétration de poussière dans leur habitation, émanant d’une carrière de pierres située à 200 mètres de leur domicile. Leur habitation est implantée sur un terrain qui est classé par la commune de « sol urbanisable à vocation industrielle ».
Le couple forme un recours auprès du tribunal supérieur de justice de Valence et la carrière cesse son activité avant que la décision ne soit rendue ; la juridiction estime que la mairie de la ville a agi en toute légalité en autorisant l’exploitation de la carrière et en la soumettant à des contrôles.
Elle estime par ailleurs que les demandeurs ont exagéré les nuisances sonores qui ne sont en réalité que très faibles, de même que la concentration de poussière au sein de leur domicile, qui n’est pas supérieure aux normes de santé publique.
Les demandeurs forment alors un recours devant le Tribunal constitutionnel s’appuyant sur le droit à l’inviolabilité du domicile et le droit à un procès équitable, mais la juridiction déclare leur demande irrecevable car non fondée sur un contenu constitutionnel.
Principes invoqués et solution de l’arrêt. Devant la CEDH, les requérants invoquent les articles 2 (droit à la vie) et 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) pour tenter de se faire indemniser du préjudice, constitué d’une atteinte à leur santé psychique comme des nuisances liées au bruit et à la poussière, qu’ils estiment avoir subi.
« l’article 8 constitue le meilleur, mais aussi le seul, fondement juridique à la protection d’un environnement sain et calme, qui REPOSE sur la protection du domicile, siège du droit à la vie privée et familiale normale »
La Cour estime que les demandeurs ont établi leur domicile sur une zone affectée à des activités industrielles et non prévue pour l’habitation, qu’ils se sont donc placés en contradiction avec les dispositions des règles d’urbanisme applicables et que par conséquent cette installation irrégulière, couplée à un faible niveau de nuisances, ne leur permettent pas d’invoquer une violation du respect de leur domicile et de leur vie privée et familiale.
Précédents. Cet arrêt rendu au visa de l’article 8 de la CEDH évoque ceux, nombreux, qui ont déjà dessiné les contours de la protection de l’environnement. La jurisprudence de la CEDH prohibe en effet les atteintes graves telles que les bruits, les émissions, les odeurs, qui, par leur intensité, privent une personne de son droit au respect du domicile en l’empêchant d’en jouir.
Sans souci d’exhaustivité on citera ainsi les arrêts : Lopez Ostra c/ Espagne du 9 décembre 1994, Guerra c/ Italie du 19 février 1998 (proximité d’une usine chimique), Hatton c/ R.U. du 2 octobre 2001 (nuisances sonores des riverains d’aéroport) et surtout Moreno Gomez c/ Espagne du 16 novembre 2004 (tapage nocturne). Plus récemment l’arrêt Di Sarno et a. c/ Italie du 10 janvier 2012 (crise du ramassage des déchets) réaffirme l’obligation positive de l’Etat.
Il ressort de ces décisions qu’en l’état de la jurisprudence de la Cour, l’article 8 constitue le meilleur, mais aussi le seul, fondement juridique à la protection d’un environnement sain et calme, qui se fonde sur la protection du domicile, siège du droit à la vie privée et familiale normale.
Une difficulté réside cependant dans l’absence de texte protégeant expressément le droit à un environnement sain et, partant, dans le caractère relativement incertain de la jurisprudence rendue au visa de ces dispositions. Ainsi que le note en effet la doctrine la plus autorisé, en la matière, la Cour opère des avancées, mais aussi des reculs, qui nuisent à la compréhension de sa jurisprudence et, in fine, à la sécurité juridique[1]. Cette sorte d’indécision se comprend par la nécessaire conciliation, qui est de l’essence même de l’office de la Cour, d’intérêts contradictoires. En clair : la protection du droit à un environnement sain ne doit pas (trop) contrarier le développement des activités économiques. Les DRIEE, en charge du contrôle des installations classées, et donc du respect des normes de protection de l’environnement, mais aussi placées sous l’égide du ministère de l’industrie, qui se soucie pour sa part également de l’emploi, connaissaient cette même contrariété interne.
Appréciation critique. L’arrêt commenté semble ainsi se situer dans le courant favorable à l’activité économique, qui doit prévaloir sur la protection de l’environnement si l’atteinte qui lui est portée est acceptable. En l’espèce, le comportement fautif des requérants, qui s’étaient eux-mêmes affranchi du respect des règles d’implantation des bâtiments militait d’ailleurs dans le sens d’une certaine sévérité : les requérants s’étant placés eux-mêmes en situation de subir les dommages dont ils se plaignaient, ne pouvaient se plaindre d’une violation de leurs droits à laquelle ils avaient concouru.
Dans le même sens, la Cour a d’ailleurs pu constater une violation de l’article 8 dans une hypothèse inverse où les victimes de nuisances d’une aciérie ne s’étaient vu proposer aucune solution de relogement (cf. Fadeyeva c/ Russie du 9 juin 2005).
Enfin, la Cour prend soin de noter que les nuisances subies étaient d’un niveau insuffisant, ce qui confirme le critère de gravité et le fait que la preuve des nuisances incombe au requérant.
La solution de l’arrêt n’apparaît donc pas novatrice mais confirme que la jurisprudence de la Cour est assez mesurée et ne permet pas toujours d’assurer l’effectivité d’un droit à l’environnement, notamment lorsque les nuisances subies sont insuffisamment caractérisées où lorsque la victime dispose ou disposait de solutions alternatives qui lui auraient permis d’échapper aux nuisances.
On observera enfin que le recours à la théorie de la préoccupation aurait permis, en droit interne français, d’aboutir à une solution identique. On sait en effet que la théorie des troubles du voisinage, qui permet d’assurer la protection d’un environnement sain et calme, est tenue en échec lorsque le demandeur à la cessation des troubles s’est lui-même placé. Il s’agit au final de solution qui pour apparaître comme étant de bon sens, accordent aux exploitations industrielles bénéficiant d’une antériorité historique, une place prépondérante qui peut sembler surprenante.
(CEDH, 3 juillet 2012, aff. n° 61654/08 : Martinez Martinez et Pino Manzano c/ Espagne)
[1] F. Sudre et alter Les grands arrêts de la Cour européenne des Droits de l’Homme, Thémis droit, PUF, 6ème édition, 2011, pp.535-545
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