Arrêt Cass. crim., 13 janv. 2015, n° 13-88.183, Sté Sita sud ouest

La chambre criminelle de la cour de cassation consacre la responsabilité pénale de l’exploitant de fait d’une installation classée, aux côtés de celle de l’exploitant de droit.
La haute juridiction confirme ainsi l’autonomie de la notion d’« exploitant » en droit pénal, et s’éloigne des concepts du droit administratif en la matière, non sans risque d’incohérence.
Les acteurs de terrain, attentifs à la responsabilité ainsi encourue, disposent néanmoins d’outils utiles à la prévention de ce nouveau risque pénal.
« si le titulaire de l’autorisation administrative est exploitant de l’installation, la personne exerçant effectivement l’activité dispose également de cette qualité »
Autonomie de la notion d’« exploitant » en droit pénal, source d’incohérence avec le droit administratif
Le droit pénal adopte couramment une approche concrète là où d’autres branches du droit conservent une approche formelle.
Ainsi de la responsabilité pénale du dirigeant de fait qui, jamais, n’est exonératoire de celle du dirigeant de droit, même de « paille », là où le droit commercial ne reconnaît de pouvoir de direction qu’au dernier.
En matière d’installations classées, la qualité d’exploitant revêt une importance cruciale en ce qu’elle conditionne l’identité du débiteur des obligations, parfois très lourdes, qui peuvent être mises à sa charge par l’autorité administrative de contrôle.
Or, si la notion d’exploitant de fait n’est pas inconnue du droit administratif, elle n’a pour l’heure droit de cité que dans l’hypothèse où l’exploitant de droit n’a plus d’existence légale.
Classiquement, les juges administratifs mettent ainsi la charge des obligations administratives sur la tête du seul exploitant de droit, et refusent en particulier de faire jouer des clauses contractuelles qui prévoiraient leur transfert sur celle d’un tiers qui n’aurait pas cette qualité (cf. CE 29 mars 2010, Communauté des communes de Fécamp, n° 318886).
Par la jurisprudence commentée, la cour de cassation accepte au contraire de recourir à la notion d’exploitant de fait alors même que l’exploitant de droit est parfaitement identifié.
L’invocation de la notion de co-exploitation est d’autant plus remarquable que la répression aurait pu se satisfaire d’une condamnation de l’exploitant de fait sous l’angle de la complicité (cf. par exemple Cass. crim. 23 mai 2000 ; Bull. n° 200).
Ce n’est cependant pas ce choix qu’ont fait les juges de la cour d’appel de Bordeaux et ceux de la chambre criminelle, au prix d’une certaine incohérence du droit des installations classées.
Co-responsabilité de l’exploitant de fait et de l’exploitant de droit en droit pénal
L’affaire ayant donné l’occasion à la cour de cassation d’affirmer le principe de la responsabilité pénale de l’exploitant de fait était relative à la pollution d’un cours d’eau imputée au dysfonctionnement d’un centre de traitement d’ordures ménagères dont l’enquête avait permis de constater le non-respect de ses permis d’exploiter.
Plus précisément, initialement autorisée, l’exploitation avait évolué substantiellement, sans que les autorisations correspondantes ne soient sollicitées.
Certaines des installations se trouvaient donc en situation d’exploitation sans autorisation, ce délit s’ajoutant ainsi à celui de pollution des eaux.
Par ailleurs – et c’est là le point le plus important – l’activité était exploitée par une société de droit privé en vertu d’un contrat de marché public conclu avec le SICTOM territorialement compétent.
Or, ladite société n’avait pas la qualité d’exploitant de droit, seul le SICTOM ayant sollicité et obtenu – mais incomplètement ainsi qu’on l’a vu – les autorisations d’exploiter auprès de l’autorité préfectorale.
Pour déclarer la société titulaire du contrat responsable des délits constatés, les juges du fond, approuvés par la chambre criminelle, avaient considéré que cette société, spécialisée dans le traitement des déchets, dirigée par un professionnel de l’environnement au fait de la réglementation, pouvait parfaitement, avant de s’engager contractuellement avec le SICTOM, s’assurer que ce dernier disposait bien des permis d’exploiter nécessaire à l’activité.
En d’autres termes, l’exploitant de fait ne pouvait, pour dénier sa responsabilité, s’abriter derrière l’exploitant de droit, seule personne responsable au regard du droit administratif.
La chambre criminelle pose ainsi en principe que « si le titulaire de l’autorisation administrative est exploitant de l’installation, la personne exerçant effectivement l’activité dispose également de cette qualité. »
Toujours selon l’arrêt, cette société ne pouvait davantage s’abriter derrière le contrat la liant au SICTOM.
Insensible à cette autre branche du pourvoi, selon laquelle la société incriminée n’avait agi que comme « un simple prestataire de services » ne pouvant encourir la responsabilité pénale du fait d’autrui, la cour de cassation « préfère considérer que les parties au contrat d’exploitation sont tous les deux exploitants et donc coauteurs du délits » (cf. J.H. Robert, « Conséquences pénales de l’adage Pacta sunt servanda », Droit pénal n°3, Mars 2015, comm. 38).
Or, la solution ainsi donnée à l’espèce par cet arrêt n’était pas écrite par avance, l’état de la jurisprudence antérieure laissant place à des solutions radicalement différentes.
Ainsi, par un arrêt du 13 décembre 2005, la chambre criminelle avait pu considérer que l’exploitation d’une carrière ayant été étendue au delà de l’emprise autorisée alors que la demande d’extension était en cours d’instruction, la qualité d’exploitant devait être attribuée au propriétaire, à l’exclusion de la société sous-traitante (cf. Cass. crim. 13 décembre 2005, n° 05-82.161, cité par D. Guihal, Droit répressif de l’environnement, Economica, 3ème édition, n° 51.456, p. 648).
Pour autant, l’arrêt du 13 janvier 2015 ne constitue pas un revirement, mais plutôt la fixation de la jurisprudence de la chambre criminelle dans le sens d’une appréciation in concreto et in pejus, de la qualité d’exploitant.
Par cet arrêt, les nécessités de la répression sont certes respectées, et l’objectif de préservation de l’environnement, assuré.
Cela étant, il est porté une nouvelle fois atteinte à la cohérence du droit des installations classées, au risque d’une certaine illisibilité de la matière, facteur d’insécurité juridique pour ses acteurs.
A cet égard, cet arrêt semble aller quelque peu à l’encontre d’un mouvement de mise en cohérence des actions administratives et pénales dont la circulaire de répression des atteintes à l’environnement faisait pourtant l’un de ses objectifs (cf. circulaire d’orientations de politique pénale en matière d’atteintes à l’environnement du 21 avril 2015 », commentaire in Revue Energie – Environnement – Infrastructrures, LexisNexis, juin 2015).
Prévenir le risque d’engagement de la responsabilité pénale
L’arrêt commenté révèle un risque aussi nouveau qu’évident d’engagement de la responsabilité pénale d’entreprises cocontractantes d’entités publiques (ou même privées) qui se croyaient à l’abri des poursuites du seul fait qu’elles n’étaient pas l’exploitant en titre d’activités relevant des installations classées.
Il est cependant loisible aux entreprises intervenantes de préserver l’engagement de leur responsabilité par l’adoption de deux mesures simples, avant et pendant le cours de l’exploitation.
En amont, lors de la passation des accords contractuels du type de ceux qui sont en cause, il semble nécessaire de procéder à un audit juridique (et non seulement technique) complet de la situation de l’exploitation, au regard du droit des installations classées.
C’est au demeurant ce que suggère l’arrêt commenté, à l’unisson de la plupart de ses commentateurs.
Cette analyse juridique préalable des permis d’exploiter de son cocontractant est d’autant plus nécessaire que les éléments d’information sont librement communicables par détermination de la loi. L’on peut ajouter qu’en l’état de l’arrêt commenté, celui qui ne pourra, dans le cadre d’un contentieux, justifier y avoir procédé, pourra moins aisément rapporter la preuve de sa bonne foi.
Enfin, en aval, lors de l’exécution du contrat, l’exploitant de fait aura tout intérêt à se pré-constituer des preuves de sa bonne foi.
Toujours selon l’arrêt, en cours d’exécution du contrat, il est en effet prudent de se pré-constituer la preuve des rappels à l’ordre adressés au cocontractant qui se révèlerait défaillant et, si ceux-ci ne sont pas suivis d’effet, de mettre fin au contrat.
La mise en place de ces outils – qui sont finalement assez proches de ceux utilisés dans le cadre des audits d’acquisition et de la mise en jeu des garanties de passif environnemental, devraient permettre aux exploitants de faits de s’engager contractuellement et de développer leurs activités en toute sérénité.
(Cass. crim., 13 janv. 2015, n° 13-88.183, Sté Sita sud ouest – Confirmation CA Bordeaux, ch. Correctionnelle, 26 nov. 2013 – M. Pers prés. – Me Bouthors, av.)