Pièce rapportée du procès pénal, la partie civile s’est lentement imposée devant les juridictions répressives. Sous l’effet de la jurisprudence de la Cour de cassation, qui confirme son orientation répressive, les demandes spécifiques des parties civiles ont tendance à s’autonomiser, obligeant les prévenus à défendre autant, voire davantage, au procès civil qu’au procès pénal. Un arrêt de chambre criminelle illustre cette orientation qui est particulièrement marquée en droit pénal environnemental.
la cour d’appel, qui n’a pas accordé la réparation d’un préjudice résultant nécessairement de la commission de l’infraction poursuivie, n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations

1.- Contexte. Depuis longtemps, la victime n’est plus « la grande oubliée du procès pénal ».
Alors que les conditions posées à la recevabilité des constitutions de partie civile sont en apparence strictes, chacun a pu constater la place grandissante de la partie civile dans le procès pénal et ce, à tous les stades de la procédure, que ce soit celui du déclenchement des poursuites, du déroulement des débats ou de l’exercice des voies de recours.
Ce mouvement de fond est classiquement illustré par les articles 2-1 à 2-21 du Code de procédure pénale qui multiplient les dispositions dérogatoires aux strictes conditions posées par l’article 2 du même Code, siège de la matière, tenant à la démonstration d’un préjudice personnel en lien direct avec les faits poursuivis.
Déjà, le législateur avait étendu le type des préjudices indemnisables par les juridictions pénales, en modifiant l’article 3 du Code de procédure pénale, afin de ne pas contraindre la victime à saisir le juge civil après avoir formé certaines de ses demandes devant le juge pénal.
Ces textes, ont conduit à une certaine inversion des principes : la constitution de partie civile devant, selon le législateur, être accueillie avec bienveillance, surtout lorsqu’elle est le fait d’associations, qui sont amenées à jouer le rôle de « Parquet bis ».
Faveur pour les victimes ou souci d’économie par externalisation des fonctions régaliennes de l’Etat, toujours est-il que les parties civiles jouent aujourd’hui un rôle éminent dans le procès pénal.
A titre d’illustration, une proposition de loi « visant à permettre aux parties civiles d’interjeter appel des décisions de relaxe et d’acquittement » a pu être déposée en son temps sur le bureau de l’Assemblée Nationale, afin de faire tomber l’un des derniers bastions de l’inégalité (supposée) des armes avec les prévenus et cette autre partie qu’est le Parquet.
La jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation, dont l’on sait qu’elle n’est pas excessivement favorable aux prévenus, tout du moins lorsque la Cour européenne des droits de l’homme ou le Conseil constitutionnel ne l’y contraignent pas, s’inscrit naturellement dans ce mouvement, ainsi que l’illustre un arrêt rendu par la chambre criminelle le 29 octobre 2013 (pourvoi n° 12-86518, communes de Limeil Brevannes et Valenton).
2.- Faits de l’espèce. Les communes de Limeil Brevannes et Valenton s’étaient constituées partie civile à l’encontre des exploitants d’une plateforme de tri et de transit de déchets du bâtiment opérée sur le territoire de la première, qui s’étaient rendus coupables de différentes infractions au droit des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE).

En substance, les exploitants n’avaient pas respecté les prescriptions de leur arrêté préfectoral d’autorisation, tant en ce qui concerne le type des déchets accueillis sur la plateforme de Limeil Bevannes, que leur volume ou leurs conditions de stockage. Au surplus, un dépôt de déchets divers avait été observé sur un parking situé sur le territoire de la commune de Valenton.
Or, les terrains, situés en région parisienne, semblaient avoir attisé une certaine convoitise de la part de plusieurs parties prenantes qui voyaient d’un mauvais œil l’exploitation de cette installation classée à proximité de terrains constructibles. Rien que de très classique en somme …
Saisie dans le cadre d’une enquête préliminaire, l’OCLAESP avait constaté les infractions qui motiveront le renvoi des prévenus devant le tribunal correctionnel, lesquels n’avaient pas été en mesure de se mettre en conformité, compte tenu de la mise en liquidation judiciaire de leur entreprise.
3.- Devant le Tribunal correctionnel de Créteil. Par un jugement du 1er juillet 2011, la 11ème chambre correctionnelle de Créteil avait, sur l’action publique et pour l’essentiel, déclaré les prévenus coupables des faits d’exploitation non autorisée d’une installation classée, de poursuite d’exploitation en violation d’une mise en demeure et de non déclaration d’accident ou incident. En répression, il avait condamné les prévenus à des peines sévères de 18 mois d’emprisonnement avec sursis et mise à l’épreuve et 2.000 euros d’amende.
Sur l’action civile, qui nous occupera davantage, le tribunal avait déclaré recevables les constitutions de partie civile des deux communes et celle d’une association locale et de ses adhérents. Les premiers juges leur avaient accordé des dommages intérêts pour préjudice d’image (1 €) , préjudice économique (10.000 € et 7.000 €) ainsi qu’une allocation au titre des frais irrépétibles (2.000 € et 1.000 €).
Les prévenus interjetaient appel principal du jugement, le parquet relevant naturellement appel incident.
Parmi les parties civiles en revanche, seule la commune de Limeil Brevannes relevait appel, en limitant comme il se doit son appel aux seules dispositions civiles.
C’est en cet état que la Cour d’appel de Paris était saisie de l’affaire.
4.- Devant le Cour d’appel de Paris. Dans un arrêt du 18 septembre 2012, le pôle 4-chambre 11 de la Cour d’appel de Paris (RG 11/08783) a réformé le jugement entrepris en prononçant des peines d’amende de 10.000 et 1.000 euros, avec sursis.
Sur l’action civile, la Cour a tout d’abord déclaré l’association irrecevable à agir, compte tenu de l’inadéquation de son objet social très spécifique (l’édification d’un mur antibruit avec butte paysagère), aux faits de l’espèce. Il manquait en effet l’une des conditions posées, cumulativement, par les dispositions de l’article L.142-2 du code de l’environnement, à savoir : (i) la déclaration régulière depuis au moins cinq ans à la date des faits et (ii) un objet statutaire ayant trait à la défense des intérêts protégés par le code de l’environnement.
En ce qui concerne les communes, la Cour a ensuite réduit le montant des dommages intérêts accordés à celle de Limeil Brevannes (1€) et, surtout, débouté celle de Valenton de toute demande de dommages et intérêts.
La Cour d’appel de Paris a en effet considéré, pour la première, que le préjudice matériel allégué ne résultait pas directement des infractions poursuivies et que le préjudice économique n’était justifié par aucune pièce.
Pour la seconde, la Cour a tout d’abord relevé que la commune de Valenton n’ayant pas relevé appel incident, elle ne pouvait augmenter ses demandes en appel au-delà de ce qui lui avait été accordé par le Tribunal. La Cour ajoute que, du point de vue de la commune de Valenton, la seule infraction poursuivie était le fait d’avoir déposé des déchets divers, pendant une période de trois semaines, sur un parking situé sur son territoire.
Or, « à défaut de toutes pièces justificatives sur le préjudice matériel qui en est effectivement résulté pour la commune » la Cour d’appel de Paris a estimé devoir rejeter la demande formulée à ce titre.
Sur pourvoi des communes de Limeil Brevannes et Valenton, la Cour de cassation devait se trouver à son tour saisie de l’affaire.
5.- L’arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation. La Cour de cassation a refusé d’admettre le pourvoi formé par la commune de Limeil Brevannes qui ne nous retiendra donc pas.
5.1.- Pour contester les dispositions civiles de l’arrêt la commune de Valenton développait à l’appui de son pourvoi un moyen unique de cassation critiquant, dans une première branche le rejet de sa demande de remise en état des lieux sous astreinte au motif de l’absence d’appel interjeté à l’encontre du jugement qui l’en avait déboutée.
Il n’est pas expressément répondu à cette branche du moyen qui tentait de pallier la carence évidente de la commune dans l’exercice des voies de recours puisqu’à défaut d’appel incident dans les quinze jours du prononcé du jugement, celle-ci ne pouvait plus, en appel, que conclure à la confirmation du jugement entrepris et non reprendre ses demandes de première instance non satisfaites.
La seule exception à ce principe résidant dans le préjudice qui serait apparu postérieurement au jugement, et qui ne constituerait pas une demande nouvelle. Cette exception est d’application très rare et il est ainsi fréquent que des parties civiles concourent, en appel, à la procédure sans d’autre faculté que celle de conclure à la confirmation du jugement entrepris.
On observera ici que la procédure pénale se révèle pénalisante par rapport à la procédure civile, qui organise quant-à-elle l’information des parties et admet l’appel incident par voie de conclusions au-delà du délai d’appel principal.
5.2.- Mais c’est surtout la deuxième branche du moyen du pourvoi qui nous intéresse ici, et dont il convient de reprendre les termes :
« alors que, en rejetant la demande de réparation formée par la partie civile, aux motifs du défaut de toutes pièces justificatives sur le préjudice matériel qui en est effectivement résulté pour la commune, tout en jugeant le prévenu coupable de l’infraction reprochée en raison du volume des déchets laissé sur le site dépassant le seuil autorisé, et en refusant de prononcer la remise en état des lieux, circonstances caractérisant l’existence d’un préjudice matériel constitué des déchets abandonnés sur place, la cour d’appel, qui n’a pas accordé la réparation d’un préjudice résultant nécessairement de la commission de l’infraction poursuivie, n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations ».
Prenant appui sur les dispositions de l’article 593 du Code de procédure pénale, ce moyen critiquait la contradiction de motifs affectant l’arrêt attaqué.
De fait, la Cour d’appel de Paris avait sans doute péché par une rédaction laissant par trop voir qu’elle considérait non pas que le préjudice de la commune de Valenton était inexistant, mais que son étendue n’était pas démontrée par la commune.
l’adage « de minimis non curator praetor », n’a pas sa place et le moindre préjudice doit être réparé, fut-ce à l’euro symbolique
En filigrane, l’on comprend que la Cour d’appel n’a pas jugé utile de se pencher sur le préjudice de la commune résultant d’un dépôt illégal de déchets qui n’avait duré que trois semaines, ce d’autant que la commune n’offrait aucune pièce au soutien de ses demandes indemnitaires.
Mais c’était oublier, et c’est ce que rappelle la Cour de cassation, que dès que l’existence d’un préjudice indemnisable est constatée et que la demande de la partie civile est jugée par ailleurs recevable, le juge répressif se doit de rechercher l’étendue de ce préjudice pour le réparer dans son intégralité.
Là encore, qu’il soit permis de citer l’arrêt de cassation :
« Attendu que l’arrêt attaqué, après avoir relevé que le prévenu, qui avait stocké 1 000 m3 de déchets mélangés et gravats, 90 m3 de plastique, 100 m3 de bois, 40 m3 de cartons et des dizaines de pneus sur un terrain situé sur la commune de Valenton, était coupable d’exploitation non autorisée d’une installation classée pour la protection de l’environnement, énonce, pour débouter cette collectivité territoriale de ses demandes de réparation, qu’à défaut de toutes pièces justificatives permettant de chiffrer le préjudice qui en est effectivement résulté, il y a lieu de rejeter ses prétentions ;

« Mais attendu qu’en se déterminant ainsi, alors que les juges du second degré ne pouvaient, sans se contredire, déclarer le prévenu coupable des faits poursuivis et dire la constitution de partie civile irrecevable, l’affirmation de l’existence du préjudice direct ou indirect porté au territoire de la commune résultant nécessairement de la constatation de l’infraction au code de l’environnement, la cour d’appel à qui il appartenait, dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation, d’en rechercher l’étendue pour le réparer dans son intégralité, a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés »
Autrement dit, en matière pénale, l’adage « de minimis non curator praetor », n’a pas sa place et le moindre préjudice doit être réparé, fut-ce à l’euro symbolique.
La solution, pour classique qu’elle soit, n’en rappelle pas moins que ce principe joue de manière absolue.
C’est ce que rappelle la Cour de cassation.
Et l’on prendra garde au fait que le principe ici réaffirmé permet de sanctionner les arrêts d’appel bien au-delà d’une éventuelle imprudence de motivation telle celle dont les juges parisiens ont fait preuve.
En effet, pour la Cour de cassation, dès que la commission d’une infraction est démontrée, et un préjudice allégué, par une partie civile recevable à en demander réparation, les juges du fond ne peuvent se dispenser d’en rechercher la consistance et d’en assurer la réparation.
5.3.- Une limite est cependant posée à l’obligation des juges du fond de rechercher l’étendue des préjudices dont ils constatent l’existence pour les réparer dans leur intégralité. Elle est tirée, là encore, des règles de procédure dont il a déjà été dit un mot.
La réparation ne saurait en effet être accordée que « dans les limites des conclusions des parties » (pour un exemple: Cass. crim. 13 novembre 2013 pourvoi n° 12-84.430).
De fait, les juges répressifs ne sauraient, pas davantage que les juges civils, statuer ultra petita, ni les juges d’appel au-delà des demandes formées en première instance.
6.- En conclusion. En pratique, il importe ainsi aux parties civiles de présenter dans la mesure du possible des demandes indemnitaires chiffrées correctement et suffisamment détaillées quant aux postes de préjudices.

Sous ces réserves, les victimes n’ont plus aujourd’hui à craindre de porter leurs demandes indemnitaires devant le juge pénal, qui permet en outre de donner à l’affaire une résonance que n’autorise peut-être pas le procès civil.
Au demeurant, de nombreuses associations de défense de l’environnement l’ont parfaitement compris et ont ainsi fait de la constitution de partie civile et de la citation directe l’un de leurs principaux moyens d’action contentieuse.
Reste que les juridictions pénales, si elles sont invitées à pallier la carence éventuelle des parties civiles dans l’administration de la preuve, ne sont sans doute pas prêtes à se laisser instrumentaliser ni impressionner par les quantum parfois demandés.
A ce titre, elles disposent d’une arme redoutable puisque c’est dans l’exercice de leur pouvoir souverain d’appréciation qu’elles évaluent les préjudices allégués devant elles et accordent les dommages intérêts qu’elles jugent adéquats.
A titre d’illustration, le préjudice moral indirect des associations de défense de l’environnement, régulièrement devisé par voie de conclusion à plusieurs centaines de milliers d’euros, atteint péniblement en jurisprudence, des sommes bien moindre, de l’ordre de 1.000 à 2.000 euros.
L’évaluation des préjudices constitue ainsi aujourd’hui le maillon faible de l’action des parties civiles, et en particulier de l’action des associations. Mais à n’en pas douter, elles s’emploieront à faire évoluer cette question dans un sens qui leur sera plus favorable, ce dont chacun est libre d’apprécier l’opportunité.
(Cass. crim. 29 octobre 2013, pourvoi n° 12-86518, communes de Limeil Brevannes et Valenton)