Cour de cassation – Chambre criminelle – Arrêt n° 791 du 19 avril 2017 (16-80.695)

La chambre criminelle de la cour de cassation nous donne une nouvelle illustration de l’application du délit de mise en danger en matière environnementale par un arrêt du 19 avril 2017.
Le contexte est celui de travaux d’excavation conduits en Corse, dans une zone naturellement amiantifère, qui créaient un risque de dispersion et donc d’inhalation des fibres d’amiante par les salariés de l’entreprise et les riverains.
« en matière d’atteintes environnementales et de santé publique le savoir scientifique apparaît indispensable à la fonction de juger »
La solution de l’arrêt, en l’occurrence le rejet du pourvoi formé à l’encontre d’un arrêt de condamnation du chef de l’article 223-1 du Code pénal à raison de travaux conduits en violation d’obligations particulières de sécurité ou de prudence n’est pas en elle-même originale.
Ce faisant la cour de cassation rappelle sa jurisprudence, fondée sur une application stricte les conditions imposées par la loi : la violation d’une obligation particulière de prudence, l’exposition à un risque de mort ou de blessures graves, le lien de causalité directe entre les deux.
Le lecteur de cet arrêt pourra en revanche être troublé par la motivation de l’arrêt de la cour d’appel, que la cour de cassation ne censure pas alors même qu’elle n’était pas parfaitement orthodoxe.

Aux termes de son arrêt, la cour d’appel de Bastia (6 janvier 2016) avait en effet tenu à rappeler qu’« avant même la mise en œuvre de l’arrêté du 14 août 2012 et l’entrée en vigueur du décret 2012-639 du 4 mai 2012, l’entreprise intervenant sur un chantier où le risque d’inhalation de fibres d’amiantes est identifié et connu, était débitrice d’une obligation générale de sécurité de résultat, non seulement à l’égard de ses salariés mais aussi à l’égard de toute personne se trouvant à proximité du site, et d’une obligation générale d’adaptation à l’évolution des connaissances scientifiques ».
Pour justifier la condamnation, la cour d’appel ajoutait que « ont violé délibérément l’obligation générale de sécurité qui pesait sur eux ainsi que les obligations particulières issues du décret 2006-761 du 30 juin 2006 relatif à la protection contre les risques liés à l’inhalation de poussières d’amiante, tant à l’égard des salariés qu’à l’égard du public avoisinant, par plusieurs manquements ».
Une telle motivation, par l’invocation d’obligations générales, ne respecte pas les canons de la jurisprudence en la matière, laquelle se plaît à rappeler qu’une telle obligation générale est insuffisante à constitue l’obligation particulière requise par le code pénal pour qualifier le délit de mise en danger.
Pourtant, la cour de cassation dans son arrêt du 19 avril 2017, ne censure pas cette motivation, ni ne précise qu’elle était superflue, mais rappelle simplement que l’arrêt déféré à sa censure est justifié « par des motifs qui établissent l’exposition d’autrui à un risque de mort, de mutilation ou d’infirmité permanente, en relation directe et immédiate avec la violation manifestement délibérée des dispositions du code du travail, la cour d’appel a justifié sa décision. »
Sans modifier sa jurisprudence classique, la haute juridiction semble ainsi néanmoins ouvrir la porte à de possibles évolutions.
C’est du moins la lecture optimiste que nous proposons de cette décision.
En cela, une telle évolution serait en ligne avec les intentions de l’auteur du texte, l’ancien sénateur Fauchon qui en 2011 avait lui-même fait le constat que la précision du texte de l’article 223-1 du code pénal ne permet que peu d’applications du délit de mise en danger alors que les situations qui le justifieraient en pratique ont vocation à se multiplier.
C’est en particulier le cas des risques de développements, qui sont connus des acteurs du secteurs avant que le législateur ou le pouvoir réglementaire n’adoptent des dispositions afin de prévenir des risques qui avaient été identifiés de longue date.
A cet égard, l’amiante constitue un exemple topique.
On se souvient en effet que les premiers rapports pointant la dangerosité de l’amiante datent de 1935 et de 1967, ainsi que le rappelle le Sénat alors et son interdiction définitive n’interviendra que le 1er janvier 1997, par application du décret n° 96-1133 du 24 décembre 1996.
« il est malaisé de rapporter la preuve d’une exposition à un risque qui ne s’est pas encore matérialisé au moment où les faits sont jugés »
Enfin, et c’est un autre intérêt de l’arrêt rendu le 19 avril 2017 par la chambre criminelle, l’analyse du lien de causalité est menée très finement dans des termes qu’il convient de rappeler: « alors que le risque de dommage auquel était exposé la victime doit être certain sans qu’il soit nécessaire que ce risque se soit réalisé de manière effective, en l’état des données de la science disponibles bien avant le temps de la prévention, le degré de probabilité de développer un cancer du poumon ou un cancer de la plèvre dans les 30 à 40 ans de l’inhalation de poussières d’amiante est certain, sans qu’il n’y ait ni effet de seuil, en deçà duquel il n’existerait aucun risque ni traitement curatif efficace »
La causalité directe constitue, on le sait, l’autre écueil de la répression du délit de mise en danger de la personne, tant il est vrai qu’il est malaisé de rapporter la preuve d’une exposition à un risque qui ne s’est pas encore matérialisé au moment où les faits sont jugés.

L’art de juger, qui paraît ici confiner à l’art divinatoire et priver le prévenu du bénéfice du doute, convoque alors la science pour l’aider à trancher.
Ici, la cour de cassation approuve donc les juges du fond d’avoir considéré comme suffisamment démontrée l’exposition directe à un risque grave : « qu’ils en déduisent que le chantier de terrassement litigieux présentant la particularité de porter des roches et des terres naturellement amiantifères, connues et identifiées avant l’acceptation du marché, la défaillance dans la mise en œuvre de la protection du public et des salariés contre l’inhalation de poussières d’amiante produites par les travaux entrepris sur le site entraînait un risque de mort ou de blessures graves lié à l’inhalation de fibres d’amiante ».
Où l’on voit qu’en matière d’atteintes environnementales et de santé publique le savoir scientifique apparaît indispensable à la fonction de juger.