Cour de cassation Chambre criminelle, 22 septembre 2016 (n° de pourvoi : 14-84.355, 3575)

Selon la cour de cassation le délit de mise en danger n’est caractérisé qu’en cas d’exposition d’autrui à un risque de mort ou de blessures graves par une violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement.
Une cour d’appel ne peut pour déclarer un prévenu coupable de mise en danger d’autrui, se borner à retenir qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires au cours des mois précédant la cessation d’exploitation pour nettoyer le site, dont il connaissait la situation, afin d’éviter tout danger, selon les procédés prévus par la réglementation en vigueur et conformes à l’autorisation d’exploitation.
En se déterminant ainsi, alors qu’il lui appartenait de rechercher la loi ou le règlement édictant une obligation particulière de prudence ou de sécurité qui aurait été violée de façon manifestement délibérée, la cour d’appel a méconnu l’article 223-1 du Code pénal.
Les juges du fond sont en revanche souverains dans l’appréciation de l’existence et de l’efficacité d’une délégation de pouvoirs.
« alors qu’il lui appartenait de rechercher la loi ou le règlement édictant une obligation particulière de prudence ou de sécurité qui aurait été violée de façon manifestement délibérée, la cour d’appel a méconnu le texte«
1.- A la suite de la découverte sur le site d’une installation classée de production de munitions, de plusieurs dizaines de tonnes d’obus, munitions et explosifs actifs faisant courir, selon le service de déminage, des risques incendiaires, explosifs, environnementaux et pyrotechniques, le directeur technique de l’entreprise, a été poursuivi des chefs de mise en danger d’autrui et de diverses infractions au code de l’environnement.
Le tribunal correctionnel de Tarascon l’a, par un jugement du 9 avril 2013, déclaré coupable de l’ensemble des infractions reprochées et condamné à une peine d’amende de 10 000 euros.
Sur appel du prévenu, du parquet et de certaines parties civiles, le directeur technique a été relaxé du chef des infractions au code de l’environnement, mais déclaré coupable de mise en danger d’autrui par un arrêt rendu le 14 avril 2014 par la 7ème chambre de la cour d’appel d’Aix-en-Provence.
La cour de cassation était saisie du pourvoi du prévenu, lequel faisait valoir, d’une part, l’inefficacité de la délégation de pouvoirs qui lui avait été consentie et, d’autre part, la violation du texte incriminant la mise en danger d’autrui.
2.- Par l’arrêt commenté, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a tout d’abord refusé d’admettre le grief relatif à l’inefficacité supposée de la délégation de pouvoirs au motif :
« Que le moyen revient à remettre en question l’appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause et des éléments de preuve contradictoirement débattus, dont ils ont déduit, par des motifs exempts d’insuffisance ou de contradiction, que la délégation de pouvoirs accordée au prévenu était effective ; »

La Haute Juridiction confirme ainsi qu’en matière de délégation de pouvoirs elle exerce un contrôle léger, laissant aux juges du fond le soin d’apprécier si sont réunis les éléments dégagés de sa jurisprudence permettant au chef d’entreprise de s’exonérer de sa responsabilité pénale par la délégation de ses pouvoirs, de manière certaine et non ambiguë, à un tiers pourvu de la compétence, de l’autorité et des moyens nécessaires.
A cet égard, si l’écrit n’est pas une condition de validité de la délégation, elle en conditionne en pratique l’efficacité puisque la charge de la preuve repose sur celui qui s’en prévaut.
En l‘espèce, la cour d’appel avait relevé le caractère « précis et limité » de la délégation consentie, au moyen d’un écrit, par le chef d’entreprise à son directeur technique, lequel avait « la compétence, l’autorité et les moyens nécessaires à ses obligations. »
Le moyen ne pouvait ici être accueilli et ne nous retiendra pas davantage.
3.- C’est sur la troisième branche du moyen que la Chambre criminelle de la Cour de cassation a trouvé, au visa de l’article 223-1 du Code pénal, le motif de la cassation par un attendu qu’il convient de rappeler :
« Vu l’article 223-1 du code pénal ;
« Attendu que le délit de mise en danger n’est caractérisé qu’en cas d’exposition d’autrui à un risque de mort ou de blessures par une violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement ;
« Attendu que pour déclarer M. Z… coupable de mise en danger d’autrui pour avoir omis de procéder à la neutralisation et à l’élimination des déchets de munitions et pyrotechniques dont il avait la charge, selon les procédés prévus par la réglementation en vigueur et conformes à l’autorisation d’exploitation, l’arrêt se borne à retenir que le prévenu n’a pas pris les mesures nécessaires au cours des mois précédant la cessation d’exploitation pour nettoyer le site, dont il connaissait la situation, afin d’éviter tout danger;
« Mais attendu qu’en se déterminant ainsi, alors qu’il lui appartenait de rechercher la loi ou le règlement édictant une obligation particulière de prudence ou de sécurité qui aurait été violée de façon manifestement délibérée, la cour d’appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé ;
« D’où il suit que la cassation est encourue de ce chef. »
4.- Par ce motif, la Chambre criminelle réaffirme sa jurisprudence qui, dans le respect du principe de légalité criminelle, fait prévaloir la lettre du texte sur l’esprit que d’aucun serait tenté de lui attribuer.
La haute juridiction doit en effet régulièrement rappelé que le délit de mise en danger suppose, notamment, la violation d’une « obligation particulière de prudence ou de sécurité ».

Faute pour la partie poursuivante d’établir cette condition préalable, le texte est inapplicable et la relaxe certaine.
En l’espèce, la cour de cassation semble avoir sanctionné la cour d’appel pour avoir omis de procédé à la recherche – qui lui incombait – des textes réglementaires qui auraient pu à bon droit fonder le reproche de mise en danger.
Au lieu de procéder à cet inventaire, certes fastidieux mais incontournable, des règles particulières de sécurité ou de prudence devant être respectées en l’espèce, la cour d’appel a cédé, pour entrer en voie de condamnation, à la tentation d’employer une formule à l’emporte-pièce :
« pour avoir omis de procéder à la neutralisation et à l’élimination des déchets de munitions et pyrotechniques dont il avait la charge, selon les procédés prévus par la réglementation en vigueur et conformes à l’autorisation d’exploitation »
La formule employée par les juges du fond péchait en effet par son caractère vague et général et encourait immanquablement la cassation.
5.- Cet arrêt a ainsi le mérite de rappeler qu’il en va du délit de mise en danger d’autrui, prévu par l’article 223-1 du Code pénal, comme du délit de corruption : souvent dénoncé, rarement poursuivi, il ne permet pas réellement de défendre les intérêts qu’il protège.
De fait, lors de l’introduction de ce texte dans notre droit pénal, le législateur, sans doute conscient de son audace à prétendre sanctionner l’auteur d’un comportement à risque alors même que ce risque ne se serait pas concrétisé, a posé à son application des conditions draconiennes, que la Cour de cassation n’a cessé depuis de rappeler.
Ainsi, par un arrêt rendu la veille de l’arrêt commenté (Cass. crim. 21 septembre 2016, N° 15-86.077), la cour de cassation, a censuré la même cour d’appel d’Aix-en-Provence qui, « pour déclarer M. X… coupable du délit de mise en danger d’autrui, relève qu’il a réalisé un dépassement dangereux en se rabattant brusquement, puis a freiné sans raison, mettant ainsi délibérément en danger les occupants du véhicule qu’il venait de dépasser, en les exposant à un risque immédiat de mort ou de blessures graves. »
Là aussi, la cour de cassation ne pouvait que casser cet arrêt au motif « qu’en se déterminant par ces seuls motifs, sans préciser la loi ou le règlement édictant l’obligation particulière de sécurité ou de prudence qui aurait été violée en l’espèce, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision. »
(Cour de cassation Chambre criminelle, 22 septembre 2016, n° de pourvoi : 14-84.355, 3575)