Mis en cause par quatre communes du littoral breton, le département des Côtes d’Armor et la Commission européenne, l’État français a vu sa responsabilité engagée et reconnue dans la genèse du phénomène des algues vertes et la gestion de ses conséquences dommageables. Mais les enjeux économiques de la filière agroalimentaire constituent un frein à une évolution favorable de la situation sur le terrain.
« la prolifération des ulves marines sur le littoral breton est rendu possible par la concentration élevée en nitrate des eaux collectées par les bassins versants de la zone »

1.- Contexte. Le phénomène de prolifération des algues vertes sur les côtes bretonnes, qui n’est pas seulement désagréable pour les promeneurs et les baigneurs mais a potentiellement des conséquences mortelles, est appréhendé juridiquement sous différents angles. Peuvent ainsi être envisagées des sources de responsabilité distinctes, qui bien souvent se répondent, mais se concentrent in fine sur l’Etat.
Ainsi, en bout de chaine, les usagers du littoral peuvent engager la responsabilité des maires des communes concernées en tant qu’ils doivent assurer la sécurité des personnes et leur agrément. Les communes elles-mêmes défendent leurs intérêts économiques liés au tourisme, qui souffre de la situation. Elles ont ainsi parfois engagé des frais de ramassage des algues échouées, avec le concours financier du département.
Or, à l’origine, il est admis que la prolifération des ulves marines sur le littoral breton est rendu possible par la concentration élevée en nitrate des eaux collectées par les bassins versants de la zone, lesdits nitrates provenant de l’activité agricole, et plus précisément des élevages intensifs (porcs, volailles) autorisés sous le contrôle des services préfectoraux de Bretagne en charge des installations classées.
L’Etat se trouve ainsi confronté à la mise en cause de sa responsabilité par les communes littorales et par le département, mais aussi à une possibilité d’action en manquement des instances européennes, fondées sur le non-respect de la directive dite « nitrates », tendant à garantir la qualité des eaux.
Mis en cause sur ces deux fondements, l’Etat français s’est déjà vu condamner par la cour administrative de Nantes (2), le tribunal administratif de Nantes (3) et la cour de justice de l’union européenne (4).
Le point sur ces différentes actions, autorise à envisager des perspectives de changement avec une certaine circonspection (5).
« les pollutions d’origine agricole des eaux superficielles et souterraines en Bretagne constituent la cause principale de la prolifération des algues vertes sur le littoral breton »
2.- Quadruple condamnation par la cour administrative de Nantes. Par quatre arrêts du 22 mars 2013, la cour administrative d’appel de Nantes a accordé en référé une provision à quatre communes du littoral breton qui demandaient la condamnation de l’Etat à leur verser une indemnité en réparation des préjudices causés par la prolifération des algues vertes.
L’indemnité provisionnelle sollicitée correspond aux coûts de ramassage des algues échouées sur la grève et de transport sur des aires de traitement.
Les communes imputaient la prolifération des algues vertes à la carence de l’Etat dans la mise en œuvre des réglementations européenne et nationale en matière de prévention de la pollution des eaux par les nitrates d’origine agricole.

La cour administrative d’appel de Nantes a suivi cette argumentation et a entendu rappeler tout d’abord que les pollutions d’origine agricole des eaux superficielles et souterraines en Bretagne constituent la cause principale de la prolifération des algues vertes sur le littoral breton.
Elle ajoute que la dégradation continue des cours d’eau et des nappes aquifères souterraines par l’activité agricole est liée à l’inapplication par l’Etat de la législation nationale sur les installations classées, notamment à la régularisation massive, sans fondement légal, des exploitations agricoles existantes et à l’insuffisance des contrôles.
Selon la cour, les carences de l’Etat dans la mise en œuvre de la réglementation européenne et nationale sont établies et sont constitutives d’une faute de nature à engager sa responsabilité. La mise en place de programmes d’action (notamment le plan de lutte contre les algues vertes proposé par la mission interministérielle pour la période 2010-2015), dont les résultats ne sont pas démontrés et qui, en tout état de cause, ne sont pas suffisants pour améliorer la situation, n’est pas susceptible d’atténuer cette responsabilité.
Les pouvoirs de police exercés par les maires des communes littorales, et la responsabilité qui en découle, et qui peut par ailleurs être engagée par les riverains et usagers du littoral, ne sont pas davantage de nature à exonérer l’Etat de sa responsabilité.
Ces arrêts sont venus confirmer une jurisprudence inaugurée par un arrêt de la même cour du 1er décembre 2009 (Ministre de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de la mer c/ Association “Halte aux marées vertes” et autres n° 07NT03775) et qui se trouve ainsi aujourd’hui bien assise.
3.- Condamnation par le tribunal administratif de Rennes. Dans le même sens, il convient de relever que le tribunal administratif de Rennes a condamné l’Etat le 12 avril 2013 à verser une somme de 7 millions d’euros au département des Côtes d’Armor, qui en demandait plus de 10, en réparation du préjudice subi du fait des sommes versées par le département pour combattre la prolifération des algues vertes sur son territoire ou remédier à ses conséquences négatives.
Cette indemnité correspond ainsi aux sommes versées par le département aux communes pour (i) le ramassage et le transport des algues vertes avant la mise en place du plan d’action gouvernemental en février 2010 sur les côtes bretonnes (5.143.007 euros), (ii) à des frais d’études et de fonctionnement de structures d’intervention (1.516.100,12 euros) et enfin (iii) au coût de diverses actions préventives (387.410 euros).
4.- Condamnation par la CJUE. La cour de justice de l’Union européenne vient enfin, à nouveau, de condamner la France pour avoir omis de prendre les dispositions nécessaires pour assurer la conformité de la qualité des eaux superficielles destinées à la production alimentaire aux exigences européennes, notamment à la directive n°75/440/CEE sur la qualité des eaux superficielles et la directive n°91/676/CEE sur la protection des eaux contre la pollution par les nitrates.

De fait, les Etats européens sont tenus de désigner en tant que zones vulnérables les zones caractérisées par la présence de masses d’eau de surface et souterraines affectées, ou risquant de l’être, par des teneurs en nitrates excessives et/ou par un phénomène d’eutrophisation. Cette obligation relève de la directive 91/676 visant à réduire la pollution des eaux provoquée ou induite par les nitrates à partir de sources agricoles.
En droit français, la procédure applicable à la délimitation des zones vulnérables est codifiée aux articles R. 211-75 à R. 211-79 du Code de l’environnement. A cet égard, l’Etat français a transmis son rapport désignant les zones vulnérables à la Commission européenne, qui, après examen, l’a considéré comme insuffisant, estimant que dix zones supplémentaires auraient dû être désignées.
Nonobstant les indications fournies par la France, la Commission a considéré que la violation de la directive 91/676 perdure car les dix zones concernées ne sont toujours pas désignées en tant que zones vulnérables, et ce, sans justification convaincante.
La Commission a, en conséquence, introduit un recours en manquement devant la cour de Justice de l’Union européenne.
Dans un arrêt du 13 juin 2013, la CJUE a estimé que le recours de la Commission était fondé et que l’Etat français a manqué aux obligations qui lui incombent, en vertu de la directive 91/676, en ayant omis de désigner en tant que zones vulnérables plusieurs zones caractérisées par la présence de masses d’eau de surface et souterraines affectées, ou risquant de l’être, par des teneurs en nitrates excessives et/ou par un phénomène d’eutrophisation.
5.- Perspectives. Pour encourageantes qu’elles puissent apparaître, même si elles sont douloureuses pour les finances publiques, ces différentes décisions devraient malheureusement ne pas avoir d’effet prophylactique.
En sanctionnant la responsabilité de l’Etat, ou en marquant sa carence, les juridictions administrative et européenne ne font en effet que tirer les conséquences de son inaction fautive.
La cour administrative de Nantes relève ainsi que l’action de l’Etat en matière de lutte contre les algues vertes n’a eu aucun effet bénéfique.
De fait, à l’origine de la contamination des milieux par les nitrates, élément sans lequel les algues vertes ne pourraient proliférer, se trouve l’élevage intensif qui constitue l’un des cœurs économiques de la région Bretagne puisqu’il pèse 40 % de son activité.
Dans la nécessaire et douloureuse conciliation des intérêts contradictoires, l’Etat a ainsi choisi de soutenir sans retenue l’activité à l’origine du phénomène et accepté de payer, in fine, pour ses conséquences dommageables.
Ce choix, que d’aucuns pourront récuser et d’autres concevoir, ne saurait en toute hypothèse être arrêté sans qu’un débat éclairé sur ses conséquences économiques, sociales, mais aussi humaines – car la santé des riverains elle aussi est en jeu – ne soit organisé.
A ce titre, il faut sans aucun doute se féliciter de l’action des associations de défense de l’environnement particulièrement actives dans la zone, comme de l’action, plus au moins médiatisée, des différentes juridictions saisies de la problématique des algues vertes.
Mais cela ne saurait suffire.
Gageons enfin que, sous la pression européenne, la suppression annoncée du mécanisme des subventions à l’exportation qui a façonné depuis cinquante ans le secteur agroalimentaire breton, contraindra à rechercher un autre modèle agricole, davantage soucieux des milieux qui l’accueillent.
1) CAA Nantes, 22 mars 2013, 4 arrêts, communes de Tréduder, Trédrez-Locquemeau, Plestin-les-Grèves et Saint-Michel-en-Grève, n° 12NT00342, n° 12NT00343, n° 12NT00344, n° 12NT00345
2) TA Rennes 12 avril 2013, n° 1004000, département des Côtes-d’Armor
3) CJUE, C‑193/12, 13 juin 2013, Commission c/ Etat Français